Titre du blog : poil à gratouiller
Auteur : Alderic25
Date de création : 08-10-2012
posté le 30-04-2013 à 11:30:12
De l'austérité
En premier lieu, le commerce extérieur des Etats européens étant
essentiellement intra-européen, la demande extérieure des uns est
surtout fonction de la demande intérieure des autres… et tous
s’entraînent collectivement dans la même déveine en s’appliquant une
austérité à échelle continentale bien faite pour maximiser ses synergies
négatives. En second lieu, il semble que les élites européennes n’aient
toujours pas accédé à cette idée pourtant élémentaire que les
stratégies de compétitivité sont des stratégies non-coopératives,
puisqu’elles visent à la constitution d’un avantage unilatéral, des
stratégies différentielles donc, par là vouée à la nullité
quand elles sont appliquées simultanément par tous — par construction,
elles ne créent alors plus aucune différence !
Bien sûr « nullité »
ne s’entend pas pour tout le monde puisque entre temps les entreprises
engrangent méthodiquement les avantages (les régressions) qui leur ont
été concédés sous couleur d’une « compétitivité » dont
l’amélioration est en fait totalement étrangère aux données réelles du
problème. On n’en revient donc pas de l’énormité des conquêtes
patronales, aux frais de la collectivité (des contribuables et des
salariés), quand on les rapporte à l’inanité du diagnostic fait en leur
nom. Et l’on ne sait plus quoi penser de cette légèreté intellectuelle
qui adosse à des justifications aussi ténues, en fait aussi fausses, des
transferts aussi coûteux, consentis en pure perte, sinon qu’elle
témoigne du dernier degré de la décomposition idéologique de «
socialistes » abandonnés aux injonctions du capital, dont plus aucune
réaction immunitaire ne les protège.
Impasse de la « flexibilité »
C’est
le même genre d’effondrement politique et mental qui rend possible au
gouvernement présent de donner son débonnaire patronage à un accord
minoritaire (l’ANI) voué à simplement ratifier le rapport de force
capital-travail dans sa configuration la plus défavorable au travail (en
situation de chômage de masse), pour tout accorder ou presque au
capital, émouvant spectacle du tête-à-tête complice de la CFDT et du
MEDEF, conclu comme il se doit dans la concorde et avec la bénédiction
des socialistes, trop heureux de s’abandonner au « contractualisme » des « partenaires sociaux »,
c’est-à-dire d’être exonérés de la responsabilité de légiférer pour
remettre droit ce que les rapports de force ont nécessairement tordu.
Lacordaire ne rappelait-il pas qu’« entre le fort et le faible, le
riche et le pauvre, le maître et le serviteur, c’est la liberté qui
opprime et la loi qui affranchit » ? Mais nul ne sait plus de quand
date l’oubli socialiste de la loi comme unique moyen de défaire les
asymétries du capitalisme. En tout cas Franck Lepage, qui ne cesse
d’attirer l’attention sur les pièges politiques enfermés dans les mots
les plus innocents d’apparence, et souligne notamment tout ce qu’emporte
de rassembler patronat et syndicats sous l’irénique appellation de «
partenaires sociaux » — dénégation même du conflit intrinsèque, central
et indépassable du capitalisme —, aurait tort dans le cas présent : de
ces deux-là, MEDEF et CFDT, on peut bien dire sans aucun abus de langage
qu’ils sont partenaires…
À l’image du rapport Gallois
en tout cas, l’ANI ajoute l’inepte à l’ignoble — entendre l’inefficacité
économique à la démission politique. Les entreprises ne manquent pas de
flexibilité, elles manquent de demande ! Et toutes les flexibilisations
du monde n’y pourront rien. Le crédit d’impôt du rapport Gallois
commettait déjà le même contresens en se figurant que rendre 20
milliards d’euros aux entreprises améliorerait leurs investissements en
améliorant leur profitabilité — le néolibéralisme patronal, qui n’a pas
exactement la cohérence intellectuelle chevillée au corps, ne voit
d’ailleurs aucun problème à cette étrange conception de la profitabilité
fiscalement subventionnée. Cette ânerie de force 7, connue depuis les
années 1980 sous le nom grotesque de « théorème de Schmidt », s’est
révélée incurablement fausse pour ignorer ce mécanisme élémentaire que
les entreprises n’étendent leurs capacités de production qu’à la
condition d’anticiper une demande suffisante (pour le reste, elles
procèdent à des investissements de rationalisation qui augmentent la
productivité mais en détruisant de l’emploi). On peut les laisser
empiler du profit autant qu’elles le veulent : pas de demande, pas
d’investissement.
Frederic Lordon
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